« Les joueurs trouvent toujours une raison »JEAN-MICHEL AULAS, le président lyonnais, reproche à ses joueurs de se cacher derrière la responsabilité de Claude Puel. Qu’il ne lâchera pas.
Deux jours après la défaite à Valenciennes (0-2), le président de l’OL nous a accordé un entretien, hier à Paris, au cours duquel il n’a pas épargné ses joueurs, premiers responsables de la crise. Réfutant la thèse de la catastrophe industrielle si l’OL ne disputait pas la Ligue des champions, il continue de croire au modèle anglais qu’il a choisi d’installer autour de Claude Puel, avec l’assentiment de tous, précise-t-il. Un message vers ceux qui tenteraient de se désolidariser.
« QUEL EST VOTRE REGARD sur la situation actuelle ?– Nous n’avons pas la même analyse que les médias sur l’amplitude de la crise, de ses raisons et de ses conséquences. Cette saison, on a modifié des choses pour se donner la chance de réussir en Europe. On devait grandir sur le plan des ressources, d’où le projet du nouveau stade. On avait besoin d’une gouvernance sportive résistant aux aléas, d’où l’idée d’un manager. On a eu le courage et la lucidité de changer. La transition est difficile.
– Elle est brutale…– Vous faites erreur. Je ne sous-estime pas la situation, mais c’était inéluctable de perdre un jour le titre. Et puis, quand ça se dérègle dans le foot, ça se dérègle… Mais il n’y aura pas de drame, on tiendra le choc. On est costauds économiquement. La marque est forte et Claude Puel est l’homme de la situation. On l’a pris pour une longue période. Je ne veux plus de ces changements, Santini, Le Guen, Houllier, Perrin… Houllier et Perrin, ce sont les joueurs qui ont poussé pour qu’on change. Quand vous avez deux scenarii identiques qui se reproduisent, même en gagnant le titre, ça suffit.
– Le manque à gagner en cas de non-participation à la Ligue des champions serait de 40 M€…– C’est moins. Qu’on finisse troisième, cinquième ou septième, il n’y aura pas de catastrophe industrielle. L’OL a 160 millions de fonds propres, notre bas de laine. Et même si on devait en perdre 40 M€, il en resterait 120. La sérénité est totale. Mon problème est de lutter contre l’effet dévastateur qu’a eu auprès de mes joueurs l’article sur Claude Puel dans L’Équipe le jour du match contre Valenciennes. Je ne regrette qu’une chose et je l’ai dit à Claude ce matin (hier) : de ne pas être allé à la causerie pour leur parler de l’article.
– Si un article suffit à faire perdre l’OL, c’est que votre équipe est très fragile…– D’une fragilité incroyable. Les joueurs n’ont pas la force de caractère pour se transcender quand la roue tourne mal, et ont tendance à reporter la responsabilité à l’extérieur.
– Après la rencontre, vous les avez montrés du doigt. Qu’attendez-vous de cette stratégie ?– Il y aurait soi-disant trop de rigueur cette année avec Puel, alors qu’ils étaient les premiers à en réclamer davantage avec Gérard Houllier. Les joueurs ne peuvent pas oublier ce qu’ils sont venus me dire… Je leur ai parlé de l’institution. Je leur ai dit que le club tentera de reconquérir sa place la saison prochaine et que leur intérêt individuel est lié à l’intérêt collectif.
– Pensez-vous que cela puisse porter ?– S’il n’y avait pas cette remise en cause nécessaire, ça voudrait dire qu’ils sont encore plus en cause que je ne le pense.
– Des joueurs comme Grosso, Cris ou Bodmer ne semblent pas galvanisés par le maillot de l’OL. Cela vous irrite-t-il ?– Pourquoi ne l’écrivez-vous pas ?
– On l’écrit.– On a l’impression qu’ils sont protégés. C’est aussi pour cela que je monte au créneau.
– Ne craignez-vous pas que cette mise à l’index se retourne contre vous ?– Certains joueurs ont un passage à vide et moins de force de caractère. Soit parce qu’ils envisagent leur avenir ailleurs, soit parce qu’ils ont une baisse de forme, mais je ne dirai pas pour autant que c’est de la faute de Claude Puel. Sa responsabilité n’est pas engagée.
– Si ses indemnités de licenciement n’étaient pas aussi lourdes (environ 10 millions d’euros), verriez-vous les choses différemment ?– Cela n’a rien à voir. C’est comme si je me reniais moi-même. Claude a une énorme expérience. Il a gagné le Championnat à Monaco. À Lille, il a tiré le maximum de ce que j’appelle le “TOJ” : le taux d’optimisation des joueurs. C’est ça l’incidence d’un entraîneur.
– Son TOJ n’est pas très élevé à Lyon…– C’est vrai, mais on est sur un deal de quatre ans. Et je ne le défends pas parce que je l’ai choisi seul, contrairement à ce que j’ai lu…
– C’est-à-dire ?– Bernard Lacombe a proposé Claude Puel, Robert Duverne (le préparateur physique de l’OL) a servi de prescripteur et le conseil d’administration l’a adopté à l’unanimité. Pas un dirigeant n’était contre. C’est un choix collectif d’après une analyse technique de gens de l’intérieur. Tout le monde peut se désolidariser, mais la vraie histoire est celle-ci.
– Envisagez-vous de confier à Bernard Lacombe une mission auprès de l’équipe ?– Non. J’ai choisi Puel pour gérer l’effectif et assurer le recrutement de la saison prochaine. Et puis Bernard Lacombe n’est pas demandeur.
– Lui aussi ce sont ses joueurs qui ont eu sa tête, en 2000…– Oui…
– Les joueurs ont toujours la tête de l’entraîneur ?– Non. Il y a un ou deux joueurs qui se sont mis en marge, comme Fabio Santos. Certains ont regretté qu’Houllier et Perrin ne l’aient pas fait jouer. Cette saison, il a été blessé tout le temps. Claude a décidé de le sortir à la mi-temps, contre Valenciennes. On prenait l’eau au milieu.
– Une altercation entre un joueur et son entraîneur, ce n’est pas terrible pour l’image de l’OL…– Ce n’est pas Claude Puel qui est en cause. Comme j’étais présent, Fabio Santos, c’est fini…
– Il sera licencié ?– On va faciliter son départ, c’est impossible autrement.
– Le déclin de l’OL prend aussi sa source dans la baisse de qualité du recrutement depuis deux ans…– J’assume. On ne peut pas être à 100 % dans la réussite. Personne ne conteste le recrutement de Lloris. Ederson est arrivé pour remplacer progressivement Juninho, mais l’exigence mentale est importante à l’OL. Makoun est un excellent joueur mais ne fait pas une grande saison. Mensah était considéré comme un des meilleurs défenseurs ; Pjanic comme un grand espoir... On mesurera la qualité du recrutement la saison prochaine.
– Comment analysez-vous ce qui se passe avec Cris ?– Il était bien revenu après sa blessure de 2007. Aujourd’hui, il est à un niveau qui est bien loin d’avant. En plus, il est le capitaine de l’équipe, et je pense que ses collègues attendent plus de lui.
– Qu’envisagez-vous au sujet de Juninho : aimeriez-vous qu’il honore sa dernière année de contrat ?– C’est Claude qui répondra à cette question. Il va avoir trente-cinq ans, je lui ai dit que je l’écouterai et que je ne le bloquerai pas. On a tous les yeux de Chimène pour lui, mais sera-t-il indispensable à l’OL la saison prochaine ? Ce n’est pas sûr.
– Votre message aux joueurs est-il de leur dire : “Ce sera Puel quoi qu’il arrive, et si ça ne vous plaît pas, allez voir ailleurs”…– C’est schématique mais bon… Les joueurs sont les principaux acteurs et le public saura précisément le 23 mai (jour de Lyon-Caen, dernier match à Gerland) s’ils ont rempli leur mission. Pas un supporter n’imagine que c’est Claude Puel qui va mettre les buts sur les quatre derniers matches. Il faut donc les avertir aujourd’hui de la réalité des choses.
– Qu’allez-vous mettre en place pour redresser la barre ?– Je souhaiterais que Claude voie les joueurs demain (aujourd’hui). Ensuite, j’aimerais en voir sept ou huit, les référents, avant jeudi : Cris, Juninho, Källström, Benzema, Toulalan, Lloris… C’est une technique que j’avais employée avec Sony (Anderson) et Paul (Le Guen) à une époque où on était en difficulté. C’était un peu pareil, ils doutaient, c’était la faute de l’entraîneur. Je les avais réunis dans mon bureau, à côté du trophée de champion de France et je leur avais répondu : “L’entraîneur n’est pas en cause… Et le premier qui prend la responsabilité de ne pas prendre le trophée à bras-le-corps pour avoir envie de le retrouver, il s’en va…” S’il y en a qui veulent s’en aller, on verra. Sinon, avec Claude, on ira expliquer nos choix aux groupes de supporters et écouter ce qu’ils en perçoivent.
– Quelle erreur regrettez-vous le plus cette saison ?– Il ne faut pas toujours trouver un coupable. Une erreur ? On aurait pu disposer d’un effectif plus important pour pallier les blessures.
– Aviez-vous proposé à Puel de recruter cet hiver ?– Si c’est pour prendre Faubert… (
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– Et Crespo ?– Fr€d était encore là ; il nous disait qu’il allait peut-être resigner. C’est une erreur de lui avoir fait confiance. On a fait des erreurs d’appréciation sur certains joueurs. Ce qui s’est passé à Valenciennes avec Fabio Santos est de ma responsabilité. Il avait déjà eu un incident avec Houllier.
– Avez-vous encore envie de défendre Grosso contre les critiques ?– Il fait une moins bonne saison que la précédente. On le sent plus motivé en Coupe d’Europe qu’en Championnat. On discutera en fin de saison. On ne peut pas dire que les deux arrières latéraux (Clerc et Grosso) aient été transcendants, à Valenciennes. Au milieu, ç’a été une catastrophe. Matthieu (Bodmer) voulait jouer milieu offensif, où il prétend être meilleur qu’en défense centrale. Mais quand il s’engage aussi modestement physiquement, j’ai envie de lui dire : “Réfléchis, regarde les matches que tu peux faire comme défenseur central et ceux que tu fais en milieu offensif.” J’ai toujours respecté les joueurs, mais comme me l’a dit Clovis Cornillac, à Valenciennes : “Parfois, c’est comme à l’école, il faut taper avec la règle sur le bout des doigts pour que ça fasse vraiment mal.” À Valenciennes, tout le monde avait compris qu’en se mettant en danger les joueurs mettraient éventuellement en danger le coach. Et là dessus, je leur ai dit que non. J’ai tapé sur les doigts car j’estime avoir avec eux une relation d’homme, forte et affective. Les joueurs trouvent toujours une raison. C’est structurel, ce n’est pas parce que c’est Claude Puel, c’est parce qu’il y a un entraîneur. »
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