[Arbitrage français] polémique sur polémique

Une réelle fracture
Ces six derniers jours, le divorce entre les arbitres et les autres acteurs du foot français a pris une tournure malsaine.

Aucun arbitre français n’officiera lors de l’Euro en juin. L’UEFA n’en a pas retenu et la semaine qui vient de s’écouler l’aura plutôt confortée dans son choix. Si l’on écoute le déchaînement de ces derniers jours, même le football français ne semble plus supporter ses hommes en noir.

Au moins neuf fautes d’arbitrage ont émaillé la dernière journée de Ligue 1. Et replacé au centre des débats la corporation des hommes en noir. Mais, cette fois, les propos sont allés plus loin que d’habitude et ont dépassé la simple colère d’après match.

A-T-ON TOUCHÉ LE FOND ?

Sur le plan de la dérive verbale, c’est presque à souhaiter. Après un week-end marqué par des décisions très contestées, le ton s’est durci jusqu’à l’excès à l’encontre du corps arbitral. Les arbitres, de leur côté, n’ont pas fait preuve de beaucoup plus de diplomatie. Dans le rapport qu’il a transmis à la Ligue (LFP), Éric Poulat, l’arbitre de Bordeaux-Nancy, a déploré que Micoud « ait pu avoir une attitude aussi abjecte et dépourvue de moralité ».
Ces montées de verbe font suite à une succession de micro-secousses qui auraient dû donner l’alerte. Le 19 décembre, l’UEFA a infligé un retentissant camouflet à l’arbitrage français en ne retenant aucun de ses représentants pour diriger des rencontres de l’Euro 2008. Du jamais vu depuis 1974 et la Coupe du monde en Allemagne.
Le 8 mars, l’International Football Association Board a prononcé l’arrêt de mort de la vidéo en gelant « jusqu’à nouvel ordre » toutes les expériences technologiques. Déjà utilisé dans le rugby et le tennis, le recours à la vidéo était pourtant le seul point de consensus entre tous les acteurs du foot français. « Aujourd’hui, c’est la loi du chacun pour soi dans un système qui fonctionne au coup par coup. Chez nous, le foot est une fuite en avant permanente », analyse Luc Dayan, expert en reprise de clubs en difficulté. Faut-il en déduire que les zones de fracture vont se multiplier ? Ce matin, à Paris, au siège de la fédération, trois directeurs de jeu membres du Syndicat des arbitres de football élite (Tony Chapron, son président, accompagné d’Hervé Piccirillo et de Bertrand Layec) tiendront une conférence de presse.
Face à « des comportements agressifs », ils veulent tirer « un signal d’alarme pour que chacun retrouve sa sérénité ».

QUI EST RESPONSABLE ?

Cet été, juste avant la reprise duChampionnat, les arbitres sont allés à la rencontre des joueurs de Ligue 1 pour leur expliquer le sens des consignes reçues.
Après une saison 2006-2007 tumultueuse, entamée par l’opération nettoyage des surfaces, cette initiative devait marquer le début d’une ère harmonieuse entre des arbitres partenaires du jeu et des joueurs informés des sanctions encourues. Pour passer de la confiance à la défiance, il suffira de deux journées et d’un coup de coude de Dieuze sur la pommette de Källström non sanctionné par M. Olivier Thual, l’arbitre de ce TFC-Lyon (1-0, 2e j.). Excédé, le Lyonnais crachera sa colère au pied du quatrième arbitre et sera aussitôt exclu. Ce sera la première décision à faire débat. Ce ne sera pas la dernière. Le climat se détériore, d’autant que les joueurs et les entraîneurs ont trouvé de nouveaux alliés. À l’antenne, les consultants arbitres, ralentis à l’appui, n’hésitent pas à stigmatiser les errements de leurs anciens collègues.
L’entraîneur de Caen, Franck Dumas, propose d’envoyer Éric Poulat à la retraite ; Pierre Dréossi, le manager rennais, s’étonne de la désignation du Méditerranéen Bruno Coué pour Rennes-Marseille (3-1). Ces propos déplacés ne suscitent aucune réaction du côté des instances.
Les arbitres, eux, voient des ennemis partout. Ils réservent un accueil glacial à Frédéric Thiriez, lors de leur stage estival, le président de la Ligue ayant commis le crime de s’entourer d’un conseiller en arbitrage (Claude Colombo).
Ils entrent ensuite en guerre contre les membres de la commission de discipline dont ils n’apprécient pas certaines décisions. Sur le terrain, la tension est palpable. Y compris sur les bancs, entre les entraîneurs et le quatrième arbitre. « On aurait tous voulu que ce quatrième arbitre soit là pour aider les trois autres, déplore Guy Lacombe, l’entraîneur de Rennes. Mais on ne leur en donne pas le droit. Ce n’est donc pas leur faute. Après, tout est fonction des hommes. Certains sont pointilleux. Avec d’autres, ça se passe bien. C’est un problème d’intelligence. Et des deux côtés. »
Preuve que, dans cette dérive des sentiments, les torts sont partagés.

COMMENT EN SORTIR ?

Hier, Jean-Louis Triaud, le président bordelais, a émis l’idée d’un passage en force pour imposer l’arbitrage vidéo. « On s’en fout, du Board ! Si demain deux ou trois fédérations décidaient d’utiliser la vidéo, que risqueraient-elles ? », s’est-il interrogé à haute voix. Cette démarche dissidente a peu de chances d’aboutir. Répertorié comme l’un des bad boys du Championnat (13 cartons jaunes cette saison), le Niçois Cyril Rool assure, de son côté, qu’il est indispensable d’« uniformiser l’arbitrage » et d’en finir avec une application des règles « à géométrie variable ». Comment ? « Nous devons faire des efforts, mais eux aussi. Certains arbitres devraient changer d’attitude et reconnaître leurs fautes. Cela désamorcerait beaucoup de choses… »
C’est justement pour « refuser la fatalité de l’erreur » qu’a été créée, voilà quinze jours, une task force sur l’arbitrage professionnel. Lancée à l’initiative de Frédéric Thiriez, le président de la LFP, avec l’assentiment de Jean-Pierre Escalettes, le président de la FFF, cette cellule, qui regroupe toutes les familles du foot, témoigne d’une prise de conscience générale. L’une de ses premières propositions de réforme pourrait briser un tabou. Et faire passer l’arbitrage dans le giron de la Direction technique nationale, donc de Gérard Houllier.
Cette redistribution des pouvoirs pourrait très vite déboucher sur une réforme du système de désignation et d’évaluation des arbitres. Une manière d’en finir avec les querelles d’hommes qui plombent un système fermé, aux ressorts claniques. Manager des arbitres de L 1 depuis 2005, Rémi Harrel vient d’être écarté par Marc Batta, son directeur, à la suite d’une longue mésentente.
Lors du lancement de l’opération task force, Frédéric Thiriez avait rappelé que « l’immobilisme peut conduire au discrédit de l’arbitrage. Et, par là même, au déclin du football. » On n’en est plus très loin aujourd’hui…

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