L'actu de l'Equipe de France

« J'ai l'impression d'être tout neuf »

RAYMOND DOMENECH, selectionneur de l’equipe de France.

Dans 23 jours, le patron des Bleus divulguera la liste des joueurs retenus pour l'Euro 2008 (7-29 juin). Avec un art consommé de la dialectique, il balaye son actualité, énonçant posément ses craintes et ses certitudes.

Le 18 mai, allez-vous finalement annoncer une liste de 23 noms ou un groupe élargi ?
Le 7 mai, après les demi-finales de la Coupe de France, on aura une indication. Je saurai alors qui est en finale de la Coupe de France, de la Ligue des champions et de la Coupe d'Italie. Ce sera donc peut-être une liste de 23, mais cest mal parti.

Aimé Jacquet avait procedé de la sorte en 1998, avec 28 noms au lieu de 22. Une expérience diversement appreciée…
Il était obligé de garder des joueurs sous pression. C'est la loi du sport. Mais dans cent ans, on parlera toujours de l'équipe de France championne du monde en 1998. Bien sûr, j'aurais été joueur, j'aurais eu les boules toute ma vie. Mais mettez-vous à notre place. Existe-t-il un autre moyen ? Je trouve qu'il est plus difficile à supporter pour un mec de rester dans le coin entre le 10 mai et le 8 juin au cas où un joueur se blesserait. Là, je prends 28 ou 30 joueurs et, au moment où il faudra donner la liste (NDLR : au plus tard le 29 mai), il n'y en aura plus que 23.

A combien d’éléments la liste serait-elle élargie ?
Six ou sept. Peut-être plus. Je suis pour l'intérêt général avant l'intérêt particulier. Anelka est joueur (NDLR : l'attaquant est réticent à l'idée de la liste élargie, pour avoir été parmi les six exclus en 1998), je suis sélectionneur. Il a le droit d'avoir des états d'âme mais il faudra prendre une décision qui ne plaira pas à tout le monde. Vous avez tous raison de penser différemment. A la fin, il faudra prendre une décision et je ne la connais pas.

« Ce qui m'empêche de dormir, c'est le calendrier »

Pour composer votre liste de 23, combien de cas de conscience avez-vous ?
Vingt-trois. J'ai plein de cas de conscience, mais ils sarrêtent au moment où je tranche. Une fois que j'ai tranché, je me dis que c'est la meilleure solution. Je ne me dis pas : « P…, jai pris ces 23 et pourquoi je n'ai pas pris celui-là ? » Le seul qui est sûr d'aller à l'Euro, c'est moi, si Dieu le veut (rires). Mais il peut m'arriver un accident de la route d'ici là. Tous les autres, on ne sait pas. Si je devais écrire ma liste aujourd'hui, je mettrais 23 noms, mais chaque jour, elle change.

Si la liste était divulguée aujourd’hui, David Trezeguet y figurerait-il ?
Je ne réponds pas à cette question, ni pour Trezeguet ni pour un autre.

Parmi les 23, quelle serait l’absence la plus préjudiciable ?
Vous me prenez pour un pigeon ? Le meilleur des mondes, c'est celui où il n'y aurait pas de journalistes pour me poser des questions à répétition auxquelles je ne répondrais pas (rire).

Composer votre liste, c’est un exercice ludique ou une souffrance ?
Ce qui m'empêche de dormir, c'est le calendrier. Il y a les finales et ça me pose un problème. Pour la liste, je suis d'une froideur totale. Il me faudra les 23 noms qui me paraissent les plus adaptés. Quels que soient mes choix, je serai critiqué. Si un consensus se dégage, je m'inquiéterai.

Existe-t-il une part de feeling dans votre manière de trancher ?
Dans un groupe, il y a des gens avec qui tu te sens bien naturellement. Il y en a d'autres avec qui tu as le poil qui se hérisse. S'ils sont à égalité, tu vas vers celui qui fonctionne bien avec les autres ou avec toi. Il y a une part d'affect. Il y a des attitudes, des remarques. Pendant un an et demi, je note tout, j'absorbe inconsciemment et, après, il y a un truc qui sort.

Pourquoi parait-il si difficile de bousculer la hiérarchie actuelle des gardiens (Coupet, Landreau, Frey) ?
C'est la sensibilité du sélectionneur. Je suis pour la stabilité pour un gardien. Il a suffisamment de soucis à se faire sans que le sélectionneur doute et le mette en difficulté.

Vous avez dit sur le ton de la boutade : « Il faudrait que l’un des trois meure pour qu’il y ait un changement »…
Il y a différentes manières de mourir, dont celle de ne pas être bon, ce qui est subjectif. Un gardien qui n'a rien eu à faire mérite d'avoir 10. Vous, les journalistes, vous lui mettez 6.

Certains joueurs ont-ils fait de l'équipe de France leur club, celui de tous les jours ou ils aiment se retrouver ?
Quand des joueurs sont appelés depuis longtemps, il se crée quelque chose entre l'équipe de France et eux. Se retrouver est un moment de bonheur. Ce ne sont plus les mêmes pré-occupations qu'en club. On est là pour quelque chose d'exceptionnel. Le jour où les mecs viendront en équipe de France et qu'ils ne seront pas contents, il faudra vite qu'ils arrêtent et qu'ils restent dans leurs clubs avec leurs soucis.

« Mon image, je men fous »

C’est votre principale réussite ?
Si les joueurs se battent avec leurs clubs pour venir à Clairefontaine, alors qu'ils sont blessés, c'est une belle victoire. Je le prends comme un cadeau. Je m'en sens fier. Thuram, il a du plaisir à vivre avec les autres et il se sent utile. Pour lui, on a fixé la barre à 150 sélections (NDLR : il en compte 138).

Ne craignez-vous pas qu’un jour l’attachement du club, qui les paie et leur met la pression, ne dépasse l’amour de la sélection ?
Un mec qui n'a pas connu une expérience forte en sélection, il n'en restera rien. Un Euro, un Mondial, il n'y a pas d'événements de plus haut niveau. Ils peuvent gagner la Ligue des champions le 21 mai, ceux qui gagneront l'Euro le 29 juin auront oublié la finale de la Ligue des champions. Elle sera noyée par une compétition qui a une ampleur autre. Et ça, ils le sentent.

Bientôt quatre ans après votre nomination…
(Il coupe.) Pour y arriver, il va y avoir un mois qui va compter… (NDLR : le mois de juin).

Presque quatre ans après, donc, vous conservez toujours l’image de quelqu’un d’atypique. Vous le cultivez sciemment ?
J'essaie de construire une équipe qui gagne et qui dure. Je vis là-dedans. Mon image, je m'en fous. Je n'ai pas de soucis. Vous me parlez de ces quatre ans, mais 2004, j'ai l'impression que c'était hier. Je n'ai pas vu le temps passer. Le match contre la Bosnie en août 2004 à Rennes (1-1), pour moi, c'était hier matin. J'ai l'impression d'être tout neuf.

Démissionneriez-vous si les Bleus sont éliminés au premier tour ?
Je n'ai jamais raisonné comme ça. Je n'ai jamais fait de plan de carrière. Je m'en fous et ce n'est pas mon problème. Mon problème, c'est de jouer contre la Roumanie, les Pays-Bas et l'Italie. Derrière, je ne sais pas et personne ne sait ce qui va se passer.

En arrivant, le 12 juillet 2004, vous disiez que vous ne vous accrocheriez pas au poste…
Beaucoup n'admettent pas que l'on peut être battu. Pourtant, il ne sagit là que de la logique du sport. Si l'on devait couper la tête de tous ceux qui sont battus, il n'y aurait pas beaucoup d'entraîneurs et de joueurs, parce que cela arrive à tout le monde.

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