Pour que ça change…
Le football français est à la peine sur la scène européenne. « L’Équipe » propose dix solutions pour y remédier.Après l’élimination du dernier rescapé, Marseille, mercredi en huitièmes de finale de la Coupe de l’UEFA (3-1 contre Saint-Pétersbourg mais 0-2 au retour en Russie), aucun club français ne figurera en quarts de finale d’une Coupe d’Europe. C’est la cinquième fois en huit ans. « L’Équipe » propose quelques pistes qui pourraient permettre au football hexagonal d’inverser la tendance.« C’est la dure réalité mais les huitièmes de finale, c’est peut-être devenu le maximum pour les clubs français. » Ainsi s’exprimait
Didier Deschamps dans
L’Équipe le 18 septembre 2007, lors d’un entretien croisé avec
Claude Puel en ouverture de la Ligue des champions. Un semestre plus tard, les faits lui donnent raison. Pour la cinquième fois en huit saisons, aucun club de Ligue 1 ne fréquentera les quarts de finale des Coupes d’Europe sans que le milieu du football français ne s’en étonne plus que cela. L’année 2004 et les finales perdues de Monaco et de Marseille ressemblent à une exception qui confirme une triste règle : dès que le printemps européen s’annonce, les clubs français tombent comme des feuilles mortes en automne. Lyon s’accroche aux branches en Ligue des champions ; Bordeaux, Lille ou Marseille s’invitent épisodiquement au banquet mais la Ligue 1 ne peut rivaliser durablement avec les quatre grands Championnats (Angleterre, Allemagne, Espagne et Italie). La France du foot va mal et même le gouvernement s’en préoccupe.
Bernard Laporte, le secrétaire d’État aux Sports, vient ainsi de confier à
Éric Besson, secrétaire d’État à la Prospective et « grand passionné » de ballon rond,
« la conduite d’une étude complète sur la compétitivité du football professionnel français ».
Hier, la Ligue du football professionnel (LFP) et l’Union des clubs professionnels français (UCPF) ont accueilli favorablement cette initiative.
Besson verra
Laporte lundi et devrait rendre son rapport avant le Championnat d’Europe. D’où vient le mal ? En grande partie de ressources financières insuffisantes pour rivaliser avec les budgets des rivaux continentaux, ce dont se plaint régulièrement
Frédéric Thiriez, le patron de la LFP.
« Quand je vois les budgets de 140 millions d’euros à Lyon et de 300 M€ au Real Madrid, je m’interroge, a confié
Laporte au
Figaro.
Un tel écart est-il normal ? » L’augmentation des droits télé, la rénovation des stades, avec l’apport induit de nouvelles recettes (billetterie, loges, « naming ») et l’ouverture à des investisseurs différents (appel à l’épargne publique, groupes étrangers) peuvent régler ou atténuer cet écart. Mais se réfugier derrière la seule variable économique pour expliquer les contre-performances ne suffit pas.
Il faut aussi faire évoluer les mentalités : amélioration du recrutement, réflexion tactique, resserrement possible de l’élite, confiance accrue aux hommes de terrain, pourquoi pas étrangers là aussi ? Autant de pistes à creuser ou, au moins, à évoquer, comme le fait aujourd’hui
L’Équipe, pour provoquer le débat et la réflexion, sous peine de ne jamais pouvoir rattraper nos voisins européens.
S’OUVRIR DAVANTAGE AUX CAPITAUX ÉTRANGERS
Le football français flirte avec le racisme économique. Après le malheureux épisode
Kachkar à Marseille, toute arrivée possible d’investisseur étranger, surtout venu de l’Est ou des pays du golfe Persique, est mal vue. Les fonds souverains ou les grands groupes industriels sont pourtant acceptés en France dans des secteurs économiques plus importants que le football.
Spécialiste de la réorganisation capitalistique des clubs,
Luc Dayan dénonce régulièrement l’amalgame
« argent étranger = argent sale » dès qu’il pourrait s’agir de pétrodollars. Ça gêne moins les clubs anglais, qui se tournent massivement vers l’Europe de l’Est et ses milliardaires, aux fonds à l’origine souvent suspicieuse. La France semble à l’abri de telles dérives, grâce à ses organismes de contrôle (Tracfin) mais, comme le PSG l’a fait avec Colony Capital, fonds américain ayant pignon sur rue, il n’y a aucune raison de se priver d’honorables investisseurs étrangers.
FAVORISER UNE DNCG EUROPÉENNE
« Si on veut garder nos stars, il nous faut plus de moyens, une baisse des charges et une DNCG européenne », répète
Frédéric Thiriez, qui milite depuis plusieurs saisons pour que l’organe de contrôle de gestion des clubs français fasse des petits à l’étranger. Capable d’imposer des relégations administratives, la direction nationale de contrôle et de gestion porte ses fruits en Ligue 1, au résultat net globalement excédentaire.
Mais à l’étranger, les règles sont plus souples. En Angleterre, Chelsea vient d’annoncer des pertes de 99 millions d’euros pour la saison 2006-2007. Mais le richissime
Roman Abramovitch a investi, si l’on peut écrire, plus de 660 M€ depuis son arrivée en 2003 et le club espère toujours être à l’équilibre en 2009-2010. Ah l’humour anglais !
Le combat peut sembler inégal mais, en Ligue 1, le groupe
Canal + (Paris- SG),
Robert Louis-Dreyfus (Marseille) ou le groupe
Pinault (Rennes) ont aussi épongé de larges déficits.
REVENIR À 18 CLUBS EN LIGUE 1
L’élite française semble trop diluée et les oppositions entre les premiers et les derniers de la Ligue 1 constituent rarement des répétitions idéales aux joutes européennes, surtout dans l’intensité.
Une compression de la Ligue 1 à 18 clubs serait une solution. La dernière expérience a eu lieu durant cinq saisons, entre 1997 et 2002, et le sujet revient régulièrement sur le tapis. L’Union des associations européennes de football (UEFA) milite en faveur de cette mesure dans tous les pays européens.
Il y a encore deux ans,
Frédéric Thiriez, le président de la LFP, était favorable. Le but de l’opération est double : désengorger le calendrier en libérant quatre dates (seulement 34 journées de Championnat) afin de favoriser la récupération des joueurs, tout en resserrant le niveau de la compétition. Mais les opposants sont nombreux car le gâteau se réduirait.
COUPE DE L’UEFA : JOUER LE JEU
Les équipes françaises jouent-elles le jeu en Coupe de l’UEFA ? Lors du 16e de finale retour de Bordeaux contre Anderlecht (1-1 après une défaite 2-1 à l’aller),
Laurent Blanc s’est à nouveau adonné au turnover. Les Girondins ont été éliminés en ratant une opportunité de rencontrer le Bayern au tour suivant. Si Marseille a aligné deux fois sa meilleure équipe contre Saint-Pétersbourg (3-1, 0-2), les clubs français privilégient régulièrement le Championnat à la Coupe de l’UEFA. Et quand il s’agit de trancher, la compétition continentale passe régulièrement au deuxième plan, sous prétexte qu’elle embarrasse le calendrier et ne rapporte pas d’argent avant les derniers tours. Toute la saison, les clubs français se battent pour être européens et lorsqu’ils ont l’opportunité de jouer la Coupe de l’UEFA, ils la délaissent.
ROMPRE AVEC L’OBSESSION DÉFENSIVE
En majorité, les entraîneurs français jouent d’abord pour ne pas perdre et le spectacle est rarement au rendez vous. Ce calcul permanent se paye dans le contexte des compétitions européennes, où la réussite sourit le plus souvent à ceux qui se lâchent.
Ainsi, l’AS Rome, le seul club italien qualifié pour les quarts de la Ligue des champions, propose le football le plus ouvert de son pays. Mais c’est d’abord grâce à ses garanties défensives que l’équipe de France a disputé deux finales de Coupe du monde en huit ans (1998 et 2006). Une identité de jeu qu’il est forcément tentant de préserver.
PROFESSIONNALISER LES CELLULES DE RECRUTEMENT
Pas assez d’argent pour retenir ou recruter les meilleurs ? Tout n’est pas seulement une affaire d’argent mais également de compétence et de flair. Quelle écurie de haut de tableau possède un réseau d’observateurs digne de ce nom, en France, en Afrique ou en Amérique du Sud ?
Les arrivées de dernière minute de joueurs au pedigree incertain sont rarement des réussites, sauf pour les intermédiaires rémunérés dans ce type d’opération. Les clubs français doivent travailler plus en amont et en profondeur dans certains pays. L’OL et Marcelo ont montré la voie au Brésil ; le Paris-SG et Monaco beaucoup moins.
LA FORMATION À DEFAUT DU « 6 + 5 »
La règle du
« 6 + 5 », chère à
Sepp Blatter, le président de la Fédération internationale (FIFA), obligerait les clubs à aligner au moins six joueurs sélectionnables dans l’équipe nationale du pays auquel le club est affilié.
Son application serait une aubaine pour le football français de clubs dès lors qu’elle obligerait, par exemple, l’Inter Milan à jouer avec six Italiens ou Arsenal avec six Anglais. Mais Bruxelles a depuis longtemps pris position contre cette proposition, en rappelant que toute discrimination fondée sur la nationalité est proscrite par les traités de l’Union européenne.
Blatter et la FIFA revendiquent toujours cette idée mais elle n’a aucune chance d’être validée par Bruxelles. De son côté, l’UEFA impose depuis cette année aux clubs participant à ses compétitions d’avoir dans leur effectif au moins six joueurs formés au club. Un chiffre qui passera à huit à partir de la saison prochaine. La Commission européenne doit se prononcer prochainement sur ce principe, qui, comme le
« 6 + 5 », favoriserait la qualité de la formation française.
Pour ou contre ?
S’OUVRIR DAVANTAGE AUX TECHNICIENS ÉTRANGERS
L’UNECATEF (le syndicat des entraîneurs) et la la direction technique nationale (DTN) ne vont pas aimer mais tant pis, on se lance : les clubs français ne gagneraient-ils pas à attirer des techniciens expérimentés étrangers, au vécu et à la culture tactique incontestables ?
Tomislav Ivic et
Raymond Goethals (et
Bernard Tapie) ont façonné l’OM vainqueur de la Ligue des champions 1993. La Premier League, depuis la révolution
Wenger, fait souvent appel à des entraîneurs étrangers (
Houllier,
Mourinho,
Benitez,
Juan de Ramos), et gagne en diversité tactique. Cette saison, seuls
Éric Gerets et
Ricardo travaillent en Ligue 1, à Marseille et à Monaco. Si la relève (
Blanc,
Garcia) est prometteuse, les clubs aspirant à aller loin en Coupe d’Europe pourraient se tourner vers des « noms » au palmarès et à l’influence supérieurs. Mais le problème serait le même que pour les meilleurs joueurs étrangers : comment payer un
Capello ou un
Mourinho ?
REDONNER LE POUVOIR AUX TECHNICIENS
Imagine-t-on
Alex Ferguson,
Arsène Wenger,
Rafael Benitez ou
Frank Rijkaard ne pas définir les grandes lignes de la politique sportive du club ? C’est pourtant trop souvent ce qui se passe en France, où de nombreux dirigeants, pas toujours compétents, décident du recrutement à tort et à travers. À l’étranger, le mouvement peut parfois être à la mode (voir le recrutement des « Galactiques » par l’ancien président du Real Madrid
Florentino Pérez) mais la qualité des joueurs enrôlés est une garantie. En France, les dirigeants ramènent trop souvent des footballeurs conseillés, voire imposés par des agents, pour des résultats trop souvent aléatoires.
Il y a longtemps que la durée d’un contrat n’est plus significative d’un engagement réel. Ces derniers sont devenus de simples garanties : pour les joueurs, assurés d’être rémunérés pour une période de plusieurs années ; comme pour les dirigeants, qui allongent la durée des contrats dans l’espoir d’une forte plus-value en cas de revente du joueur. Pourtant, juridiquement, rien n’empêche un club de retenir un joueur sous contrat dans la limite de la durée incompressible des trois premières années de son engagement. Un retour à plus de fermeté permettrait ainsi de conserver en Ligue 1 les meilleurs joueurs un ou deux ans de plus, comme
Drogba ou
rib€ry, partis trop tôt de Marseille. Encore faudrait-il que les dirigeants privilégient l’intérêt purement sportif. En d’autres temps, à Auxerre,
Guy Roux avait ainsi fermement retenu ses meilleurs candidats au départ pour maintenir le standing européen de son effectif. Il n’hésitait pas à aller au conflit ou à utiliser certains joueurs jusqu’à la fin de leur contrat, quitte à perdre l’argent d’un éventuel transfert.
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L'Equipe Papier