[EURO 2008] Votre liste des 23

« Se couper du monde »

RAYMOND DOMENECH souhaite que les Bleus, à l’Euro, soient encore plus repliés sur eux-mêmes
qu’en 2006. Et laisse entendre qu’il pourrait donner la liste le 11 mai.

L’interview s’est déroulée dans son bureau, au siège de la Fédération, où Raymond Domenech nous a reçu pendant une heure. Au menu, la préparation à l’Euro, la vie des Bleus pendant la compétition et la liste
des vingt-trois. S’il évoque le 9 ou le 10 mai dans la conversation, les contrats entre l’équipe de France et«Téléfoot »laissent supposer que la liste des vingt-trois pourrait être annoncée le dimanche 11 mai.

« JEUDI, Vous allez encore donner une liste de trente-six joueurs (1), la dernière avant la liste de l’Euro. Vous allez encore donner des espoirs à tout le monde ?
– Non. Je vais même éliminer 370 joueurs professionnels français…
Je donne de l’espoir, mais ce n’est pas parce que certains ne seront pas là cette fois qu’ils ne
seront pas là au mois de mai. Et pour ceux qui sont là il y a le risque d’être mauvais.

– Pourtant, théoriquement, vous avez déjà choisi ?
– C’est toujours la même chose : ce matin, je sais ce que je ferai. Mais la liste des vingt-trois, c’est en mai, et d’ici là la terre va tourner.

– En mars 2006, vous ne saviez pas que vous alliez prendre Chimbonda…
– Rien n’était définitif, en mars. Mais il jouait, on l’avait vu, il était inscrit dans notre réflexion. C’était
un peu comme rib€ry, mais la différence, c’est que vous n’avez jamais parlé de l’autre. À l’époque, vous
parliez seulement de rib€ry en disant qu’il était inadmissible de ne pas le prendre. Après seulement,
vous avez interprété son absence des listes comme une façon de le protéger avant la Coupe du monde. Relisezles journaux.

– Si, on le disait…
– Cherchez bien (2)…

– À quel moment allez vous donner la liste des vingt-trois ? Un dimanche à « Téléfoot » ?
– Rien n’est définitif. Le Championnat d’Angleterre s’arrête le 10 mai, les autres Championnats le 17, et au pire, on aura Arsenal-Barcelone en finale de la Ligue des champions, le 21 mai, et Lyon-Marseille en finale de la Coupe de France, le 24. Entre ceux qui s’arrêteront le 10 et ceux qui s’arrêteront le 24, le différentiel de préparation sera énorme ! Il faudrait ne pas prévenir les joueurs qui s’arrêtent le 10, et donner la liste le 16 ou le 17…C’est impossible, on n’aura pas leur adresse aux Seychelles… Je suis donc tenu par ce calendrier débile. Il serait temps que tous les deux ans les finales aient lieu avant la fin des Championnats. Le vrai combat de Michel Platini est de pouvoir imposer ça, d’harmoniser le calendrier et de ne plus placer les Coupes en bout de course.

– Donc…
– Donc il y a de fortes chances que je la donne avant. Vers le 9 ou le 10 mai. Cela paraît logique.

– Que vous a appris votre liste, en2006 ? Qu’est-ce que vous ne referiez plus ou que vous referiez mieux ?
– Ce que je ferais de mieux ? Je déplacerais un peu les écrans pour mieux voir ce qu’il y a dessus. (Sourires.) (3) J’aurais mis un écran derrière, un écran devant, j’aurais dit : “Les défenseurs sont derrière, les attaquants sont devant.” Voilà. Sinon, qu’est-ce que j’aurais changé ? Rien.

– Vous avez toujours l’intention de doubler tous les postes ?
– Oui. C’est déjà un signe de confiance pour le joueur. Si le numéro 1 est absent ou blessé, il sait que
c’est lui qui va jouer, il se prépare pour ça. Si tu commences à imaginer des polyvalences, certains vont se dire qu’ils ne joueront jamais. Ils ne sont pas cons. Ils savent très bien s’ils ont une chance de jouer ou pas. Une liste, c’est complexe, cela consiste aussi à éliminer des joueurs dont tout le monde pense qu’ils devraient être là. Et moi aussi !Mais la vraie question, c’est l’équilibre. Donc, il y a de bons joueurs qui n’y seront pas. Je ne vais pas prendre trois joueurs au même poste pour faire plaisir, et déshabiller l’équipe ailleurs. Je préfère donc qu’on me dise, quand je donne ma liste, que j’ai oublié quelqu’un, plutôt que de m’apercevoir en compétition qu’il me manque une solution.

''Il n’y a rien de plus dangereux que la tranquillité''

– Quel le est la part de l’influence des joueurs cadres, exprimée ou non, dans cette liste ?
– Aucune. Ce n’est pas leur boulot, déjà. C’est une légende, tout ça. Jamais, en tant que joueur, ou capitaine, je ne me suis permis de dire à l’entraîneur qu’il fallait faire jouer celui-ci plutôt que celui-là. Même quand on m’a posé la question, je n’ai pas répondu. Si je suis joueur, et si je sais que le capitaine veut quelqu’un d’autre à ma place… Franchement, qu’il ne passe pas à côté de moi, je vais tacler haut ! Donc, c’est moi qui assume le choix, point. Je n’en discute même pas avec les joueurs. On peut parler de l’organisation, de la vie collective, de l’animation du système de jeu, mais du choix des joueurs, non. Ils n’ont pas à intervenir là-dessus. Et ça ne n’est jamais produit avec moi.

– Pour fédérer, en 2006, vous aviez trouvé le voyage en Martinique. Et cette fois ?
– Ce ne sont pas les mêmes circonstances. Après avoir vécu sept semaines ensemble, pendant la Coupe du monde, on a un acquis sur le plan de la vie collective. Notre quête, cette fois, se situe sur le terrain
: c’est pour ça que j’ai voulu deux matches de haute intensité, en Espagne (0-1) et contre l’Angleterre.
Notre défaite en Espagne a montré que rien n’était évident. On a dit que c’était un match satisfaisant, mais ça ne peut pas être satisfaisant de perdre.

– C ’était un match de préparation…
– Pas pour moi. Les trois autres matches amicaux juste avant l’Euro, oui, serviront à se préparer. Mais pas l’Espagne, et pas l’Angleterre. Contre les Anglais, il faudra se mettre dans la situation de l’Euro. Ce
qui compte, c’est ce que les joueurs vivent sur le terrain. Ils ont perdu en Espagne, c’était un match amical, et je vous assure qu’ils avaient les boules. Il faut oublier le climat extérieur, s’en séparer. Sinon, on part à la Coupe du monde après une défaite, comme en 2002 contre la Belgique (1-2), sous un feu d’artifice, et on va dans le mur. Pour bien se préparer, il faut gagner.

– Par rapport aux deux années qui ont précédé la Coupe du monde, les deux années écoulées
ont été beaucoup plus calmes, même si vous avez fait des efforts…
– Je me suis battu pour mettre de l’action, mais j’étais un peu seul. (Sourires.) Il n’y a rien de plus dangereux que la tranquillité. Je suis toujours inquiet quand il ne se passe
rien, ça veut dire que la tempête se prépare. Alors que, quand tu te prépares dans la tempête, tu sais que c’est le beau temps qui arrive.

– Quels sont les nuages en ce moment ?
– La liste. La défaite en Espagne (0-1). N’avoir pas marqué de but en deux matches, A et A’. Il y a donc des questions à se poser. Les nuages, c’est aussi la préparation. Des joueurs vont arrêter le 24 mai et
entrer en compétition le 9 juin. Si tu pars en te disant que tu seras prêt le 29 juin pour la finale, tu peux être prêt surtout pour tes vacances. Sur ce plan-là, l’Euro ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. J’aimerais que tout le monde en soit conscient.

– À l’Euro, vous avez promis le pire aux médias. C’est-à-dire ?
– Je reste persuadé que la sérénité d’une équipe passe par son isolement. Dans une grande compétition, il faut être à mille pour cent, on n’a pas à expliquer nos états d’âme à la télé. Pour cela, j’ai besoin d’un cloisonnement fort, besoin de se couper complètement du monde extérieur. Ce qu’on demande aux joueurs, c’est d’être performants le jour des matches. Dans une compétition qui dure, il faut être psychologiquement serein. Et pour ça il faut couper les télés et ne pas lire la presse.